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CONSTITUTION ET  LA PROTECTION INTERNATIONALE CONTRE LA DISCRIMINATION

Académie internationale du droit constitutionnel, Tunis. 10-14 juillet 2004

                                

« Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d'ethnie, de couleur, de sexe, le langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

            Art. 2, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, en vigueur le 21 octobre 19

« 1. Toutes les personnes bénéficient d'une égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi »

            Art. 3, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples

 

« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi.  À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

Art. 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, en vigueur depuis le 23 mars 1976

Introduction :  trois décisions d'actualité

Le thème de mon cours est « Constitution et la protection internationale contre la discrimination ».  En effet, la discrimination est un fléau universel, interdite dans beaucoup de conventions internationales ainsi que dans les constitutions d'un grand nombre de pays.  Comme on verra dans ce cours, le droit constitutionnel protège contre la discrimination, il est réel et pertinent, a fortiori dans la protection des droits humains.  En principe l'on pourrait  constater cette pertinence quotidiennement, mais rarement l'on se rend compte des maints effets du droit constitutionnel, sauf lorsqu'une affaire constitutionnelle nous bouleverse et un tribunal international ou  la cour suprême d'un État doit la trancher, par exemple dans le cas de l'avis consultatif de la Cour Internationale de Justice du 9 juillet 2004 concernant la construction du mur israélien en territoire palestinien du 9 juillet 2004,  dans le cas de l'arrêt de la Cour suprême d'Israël du 30 juin 2004 concernant ce même mur, ou dans l'arrêt de la Cour suprême des Etats Unis du 29 juin 2004 concernant Guantánamo.

Je vous propose ce matin un modèle assez simple :  considérons d'abord la Charte des Nations Unies en tant que Constitution universelle, une constitution qui détermine les relations entre les Etats, ainsi que la structure de l'organisation mondiale, les fonctions de ses organes principaux tels que le Conseil de Sécurité, l'Assemblée Générale, le Conseil Economique et Social, ainsi que le mandat de l'exécutif, voire le Secrétaire Général.  Je vous propose également comme modèle la Cour Internationale de Justice de La Haye en tant que cour constitutionnelle universelle, comme tribunal qui possède une compétence définie dans son Statut et qui est habilité à déterminer la constitutionnalité, voir la validité des actes politiques des Etats parties, et d'interpréter le droit international, y compris son propre Statut et surtout la Charte des Nations Unies, et ayant la compétence de trancher sur des questions de discrimination en tant que violation du droit international.

Le mot discrimination vient du Latin discriminatio, qui veux dire séparation. Si nous pensons à la notion de la séparation en droit international, nous pensons tout de suite à la politique de l'Afrique du Sud des années 1950-90, une politique de séparation des races universellement condamnée sous le nom d'Apartheid.  Les Nations Unies ont adopté deux conventions à cet égard, la Convention internationale sur l'élimination et la répression du crime d'apartheid du 30 novembre 1973 (en vigueur 18 juillet 1976) et la Convention internationale contre l'apartheid dans les sports du 10 décembre 1985).  Nous pensons ensuite aux résolutions de l'Assemblée générale et du Conseil de sécurité condamnant la discrimination en Afrique du Sud, aux sanctions économiques, et aussi à l'important avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 21 juin 1971 dans l'affaire « Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité ».  Là aussi il s'agissait de la protection de la population autochtone de Namibie contre la discrimination et l'exploitation par le gouvernement de l'Afrique du Sud.

Aujourd'hui nous pensons au mur israélien en territoire palestinien occupé, dont la légalité en droit international fait l'objet de l'avis consultatif du 9 juillet 2004.  Rappelons nous que l'Assemblée générale avait soumis à la Cour la demande d'avis consultatif conformément à sa Résolution ES-10/14, adoptée le 8 décembre 2003, lors de sa dixième session extraordinaire d'urgence.  La demande était formulée ainsi :

« Quelles sont en droit les conséquences de l'édification du mur qu ‘Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans le rapport du Secrétaire général, compte tenu des règles et des principes du droit international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949 et les résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale ? »

Comme toute cour constitutionnelle, la Cour a du se pencher au début de son raisonnement sur la question de savoir si elle avait compétence pour donner l'avis demandé, et, dans l'affirmative, s'il existait une quelconque raison pour elle de refuser d'exercer une telle compétence.

Voilà la question classique et nécessaire de la juridiction du tribunal.  Et voilà que la cour a relevé premièrement que sa compétence en la matière est fondée sur le paragraphe 1 de l'article 65 de son Statut, aux termes duquel la Cour « peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis », et deuxièmement que l'Assemblée générale, qui avait demandé l'avis consultatif, était autorisée à le faire en vertu du paragraphe 1 de l'article 96 de la Charte, qui dispose que « L'Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique ». 

Pour répondre à la question de la compétence, la Cour a eu égard à l'article 10 de la Charte des Nations  Unies qui confère à l'Assemblée générale une compétence  sur « toutes questions ou affaires » entrant dans le cadre de la Charte, et que le paragraphe 2 de l'article 11 lui a spécifiquement donné compétence à l'égard de « toutes questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales dont elle aura été saisie par l'une quelconque des Nations Unies …»  

La Cour a dû noter que la question de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé avait été soumise à l'Assemblée générale par un certain nombre d'Etats Membres dans le cadre de sa dixième session extraordinaire d'urgence, convoquée pour examiner ce que l'Assemblée, dans sa résolution ES-10/2 du 25 avril 1997, avait considéré comme constituant une menace à la paix et à la sécurité internationales. 

Vu le rôle actif joué par le Conseil de sécurité à l'égard de la situation au Moyen-Orient, y compris la question palestinienne, la compétence de l'Assemblée générale aurait pu être limitée par le paragraphe 1 de l'article 12 de la Charte, qui dispose que : « Tant que le Conseil de sécurité remplit, à l'égard d'un différend ou d'une situation quelconque, les fonctions qui lui sont attribuées par la présente Charte, l'Assemblée générale ne doit faire aucune recommandation sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil de sécurité ne lui demande ».  Pourtant, la Cour a constaté qu'une requête pour avis consultatif ne constituerait pas une « recommandation » au sens de l'article 12 de la Charte.  La Cour a noté par ailleurs que, bien que en vertu de l'article 24 de la Charte, le Conseil de sécurité a « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales ». L'interprétation de l'article 12 de la Charte avait évolué depuis 1945, et a fait allusion à l'opinion juridique du département juridique des Nations Unies déjà en 1968, selon laquelle l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité peuvent examiner parallèlement une même question relative au maintien de la paix et de la sécurité internationales.  Donc dans le cas d'espèce la Cour a décidé que l'Assemblée générale n'avait pas outrepassé ses compétences.

La Cour a aussi fait allusion à la résolution 377 A(V) de l'Assemblée générale (du 3 novembre 1950 pendant la crise de la Corée),  aux termes de laquelle :

« dans tout cas où paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression et où, du fait que l'unanimité n'a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s'acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l'Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire aux Membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre … »  

La Cour a dû constater que depuis la convocation de la dixième session extraordinaire d'urgence en 1997, le Conseil s'était effectivement trouvé, en raison du vote négatif d'un membre permanent, dans l'incapacité de prendre une décision quelconque concernant la situation israélo-palestinienne.

Ensuite la Cour a examiné s'il s'agissait d'une « question juridique » au sens du paragraphe 1, de l'article 96, de la Charte et du paragraphe 1, de l'article 65, du Statut de la Cour.  En rappelant  son avis consultatif du 1996 dans lequel elle avait précisé sa fonction de « déterminer les principes et règles existants, les interpréter et les appliquer …, apportant ainsi à la question posée une réponse fondée en droit » (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par.13),  elle a  souligné que, en l'espèce, l'Assemblée générale avait priée la cour de dire « quelles sont en droit les conséquences » de la construction du mur », et donc a conclu qu'il s'agissait d'une question juridique, même s'il y avait certainement des aspects politiques.

En ce qui concerne un manque de clarté allégué des termes employés dans la requête de l'Assemblée générale et son incidence sur la « nature juridique » de la question, la Cour a de nouveau rappelé son avis dans l'affaire de la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, dans lequel cet aspect fut soulevé sous l'angle de l'opportunité judiciaire plutôt que sous celui de la compétence.  La Cour a constaté que cette allégation n'était « qu'une  pure affirmation dénuée de toute justification » et qu ‘elle pouvait « donner un avis consultatif sur toute question juridique abstraite ou non » (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 236, par. 15).

Enfin, en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'exercer sa compétence, la Cour a noté que selon l'article 65 de son Statut, elle « peut donner un avis consultatif », c.à.d. elle peut également s'abstenir et ne pas en donner un.  Dans le cas d'espèce, la Cour a estimé qu'elle devait donner un tel avis. 

Sur le fond, la Cour a décidé, entre autres, par quatorze voix contre une que :

« L'édification du mur qu'Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international.:

…Israël est dans l'obligation de mettre un terme aux violations du droit international dont il est l'auteur; il est tenu de cesser immédiatement les travaux d'édification du mur qu'il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, de démanteler immédiatement l'ouvrage situé dans ce territoire et d'abroger immédiatement ou de priver immédiatement d'effet l'ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s'y rapportent. 

…Israël est dans l'obligation de réparer tous les dommages causés par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l'intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est . »

Voici l'avis de la Cour constitutionnelle mondiale.  Bien sûr, la mise en ouvre de toute décision judiciaire – soit d'un tribunal national ou d'un tribunal international - est une autre affaire.  Les normes et leur respect sont deux choses très différentes.  En effet, le gouvernement d'Israël a déjà annoncé qu'il ne tiendra pas compte de l'avis consultatif.

A peine une semaine avant l'avis consultatif de la Cour à La Haye, le 29 Juin 2004, la Cour suprême d'Israël à Tel Aviv avait rendu un jugement dans lequel elle a contesté le tracé de la « barrière » en Cisjordanie mais pas sa légalité.  L'arrêt a été rendu à la suite d'un recours présenté par les conseils municipaux de huit villages palestiniens affectés par le mur ou nord-ouest de Jérusalem.  La Cour a reproché au gouvernement israélien de ne pas respecter le droit humanitaire et ordonné de modifier une partie du tracé afin de préserver les droits des Palestiniens lésés.  Le tracé devrait être modifié sur près d'une trentaine de kilomètres parce qu'il portait un grave préjudice à quelque 35,000 Palestiniens.  En plus, une partie du mur déjà construite devrait être démantelée. Le ministre de la Défense a annoncé qu'il respecterait cet arrêt :

« L'appareil de la Défense et ses responsables honoreront l'arrêt de la Cour suprême et s'y conformeront et ils définiront un nouveau tracé de la barrière de sécurité qui tiendra compte de principes fixées par la Cour. ».  .

 Dans l'état de droit, les organes de l'Etat doivent respecter les décisions judiciaires.  Mais, bien entendu, le pouvoir législatif peut parfois frustrer un arrêt judiciaire.  Par exemple, on discute maintenant dans le Parlement israélien de l'adoption d'une loi d'urgence pour contourner l'arrêt de la Cour, une loi qui permettrait de poursuivre sans retard la construction du mur.  Et par la suite, la Cour suprême pourrait encore trancher la question de la constitutionalité d'une telle loi.

Passons  maintenant au continent américain, et considérons la question de la ségrégation des détenus Afghans et Talibans à la base navale de Guantánamo (Cuba).  Pendent deux ans et demi, ils ont été séparés de leurs familles en Afghanistan et transportés à l'autre bout du monde, discriminés et refusés  la jouissance des droits humains de tout autre détenu aux Etats Unis, voire le droit à communiquer avec un conseil, le droit de contester la légalité de leur détention, les droits de tout prisonnier de guerre, etc.  L'arrêt de la Cour suprême des Etats Unis du 28 juin 2004 dans le cas Rasul v. Bush [1] , nous rappelle que le droit constitutionnel a un rôle central dans un Etat de droit.  En effet, la Cour a  constaté que si la Constitution s'appliquait aux gardiens américains de la prison de Guantanamo, elle devrait forcément s'appliquer aussi aux détenus.  Donc le gouvernement américain ne peut  pas discriminer entre les citoyens et les non-citoyens en ce qui concerne la jouissance des droits fondamentaux prévus dans la Constitution américaine, entre autres en ce qui est du droit des personnes privées de leur liberté au habeas corpus.

 

Commentaire historique :  le développement du principe de l'égalité

Dans ce cours nous allons aborder plusieurs aspects du droit à l'égalité, un droit démocratique qui comporte notamment le droit à ne pas être traité de façon arbitraire, ni par la loi, ni dans l'application de la loi, ni par les autorités de l'Etat ni par les individus ou acteurs non-étatiques.  Le droit à l'égalité comporte aussi le droit à la non-discrimination et l'on le retrouve dans toutes les constitutions modernes.

Déjà la devise « liberté, égalité, fraternité » de la République française, héritage du siècle des Lumières, était invoquée lors de la Révolution française.  Elle est inscrite dans la Constitution française de 1958 et fait partie du patrimoine national français, et je dirais du patrimoine mondial.

On retrouve le principe de l'égalité dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 :

« 1. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.  Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »

Rappelons aussi la Déclaration d'Indépendance des 13 colonies américains du 4 juillet 1776 : « we hold these truths to be self-evident – that all men are created equal”.

Toutefois, cette phrase si connue n'a pas été inscrite dans la Constitution des Etats Unis d'Amérique du 17 septembre 1787,  parce qu'à  cette époque l'esclavage était toujours assez répandu.  Il a fallu attendre l'adoption du 14-ème amendement à la Constitution, daté du 28 juillet 1868 :

« all persons born or naturalized in the United States, and subject to the jurisdiction thereof, are citizens of the United States … No State shall… deny to any person  within its jurisdiction the equal protection of the law.”

Bien entendu, cet amendement ne parle que des droits du citoyen.  L'égalité de droits pour les non-citoyens a connu un développement plutôt lent et n'est toujours pas une réalité aux Etats Unis. 

Il a fallu attendre l'interprétation progressive de la Constitution par la Cour suprême des Etats Unis dans une série de jugements célèbres.

Pourtant, dans son arrêt « Plessey v. Ferguson » [2] du 1896, la Cour suprême avait même constaté que la discrimination raciale contre les noirs était constitutionnelle ; il a fallu attendre presque 60 ans, jusqu'en 1954,  pour voir cette jurisprudence raciste d'abord affaiblie par l'arrêt « Brown v. Board of Education » [3] et enfin rejeté par le Civil Rights Act du 1964, qui a formellement interdit la discrimination raciale [4] .

Cependant, d'autres manifestations de discrimination ont continué aux Etats Unis.  Par exemple, dans son arrêt « Johnson v. Eisentrager » (1950) [5] la Cour suprême a permis la discrimination des non-citoyens, à qui la cour a nié le droit de bénéficier de la protection de la Constitution américaine, à savoir du « Bill of Rights » et du droit de toute personne privée de liberté d'introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

Même si la Constitution des Etats Unis ne limite nullement pas son application au territoire souverain des Etats Unis, six juges de la Cour suprême ont conclu que les requérants n'avaient pas le droit de demander qu'une cour américaine statue sur la légalité de leur détention, parce qu'ils étaient des allemands que les autorités américains avaient arrêtés en 1945 en Chine.  Alors, d'après la Cour suprême, ils pouvaient être discriminés et rester en prison si le gouvernement américain ainsi le souhaitait. 

Cependant, après cet arrêt de la Cour suprême, les Etats Unis ont ratifié plusieurs traités internationaux sur les droits humains, en vertu desquels ils ont accepté des obligations internationales et renforcé le droit à l'égalité et la prohibition de la discrimination déjà présents dans la Constitution américaine. 

 

Normes internationales

Le droit international moderne qui comporte une prohibition de la discrimination s'est développé au fil des années et a trouvé expression, entre autres, dans la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et surtout le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l'article 2 stipule :

« Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

Cet engagement n'est pas sans importance constitutionnelle, parce que selon l'Article VI de la Constitution des Etats Unies :

 « This Constitution, and the laws of the United States which shall be made in Pursuance thereof, and all Treaties made, or which shall be made, under the Authority of the United States, shall be the supreme Law of the Land; and the Judges in every State shall be bound thereby, any Thing in the Constitution or Laws of any State to the contrary notwithstanding. »

Cette “supremacy clause” veut dire, que les conventions tels que le Pacte relatif aux droits civils et politiques constituent la « supreme law of the Land ».  D'ailleurs, il s'agit du lex posterior qui, en principe, devrait annuler les effets discriminatoires du précédent tiré de l'arrêt Johnson v. Eisentrager.

Pourtant, comme nous l'avons vu dans le contexte de la soi-disant « guerre contre le terrorisme », le gouvernement Bush  a voulu créer un « trou noir » à Guantánamo, où on voulait garder les détenus, tous non-citoyens américains, sans aucun droit et sans recours.

Bien sûr, une telle politique est incompatible avec les engagements acceptés par les Etats Unis lors de la ratification du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Dans son observation générale sur les droits des étrangers (No. 15) [6] , le Comité des droits de l'homme, l'organe responsable de la mise en œuvre du Pacte, a constaté que :

« la règle générale est que chacun des droits énoncés dans le Pacte doit être garanti, sans discrimination entre les citoyens et les étrangers.  Les étrangers bénéficient de l'obligation générale de non-discrimination à l'égard des droits garantis par le Pacte, ainsi que prévu à l'article 2 »

Dans  son observation générale sur la non-discrimination (No. 18) [7] , le Comité a souligné que :

« La non-discrimination est un principe fondamental et général en matière de protection des droits de l'homme, au même titre que l'égalité devant la loi et l'égale protection de la loi … le principe de non-discrimination est si fondamental que, conformément à l'article 3, les Etats parties s'engagent à assurer le droit égal des hommes et de femmes de jouir de tous les droits énoncés dans le Pacte.  Même si le paragraphe 1 de l'article 4 autorise les Etats parties en cas de danger public exceptionnel à prendre des mesures dérogeant à certaines obligations prévues dans le Pacte, ce même paragraphe prévoit, entre autres, que ces mesures ne doivent pas entraîner une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale.  En outre, conformément au paragraphe 2 de l'article 20, les Etats parties ont l'obligation d'interdire par la loi tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination. »

Dans son observation générale sur la nature de l'obligation juridique imposée aux Etats parties au Pacte (No. 31) [8] , le Comité a clarifié

« Aux termes du paragraphe 1 de l'article 2, les Etats parties sont tenus de respecter et garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et à tous ceux relevant de leur compétence les droits énoncés dans le Pacte.  Cela signifie qu'un Etat partie doit respecter et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte, même s'il ne se trouve pas sur son territoire. Ce principe s'applique aussi à quiconque se trouve sous le pouvoir ou le contrôle effectif des forces d'un Etat partie opérant en dehors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi, telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales de maintien ou de renforcement de la paix. »

Lors de l'examen des rapports périodiques des Etats parties, le Comité n'a pas cessé de souligner cette obligation de non-discrimination entre les citoyens et les non-ressortisants d'un pays,  par exemple lors de l'examen du premier et deuxième rapports périodiques d'Israël, ou le droit a la non-discrimination des Palestiniens, aussi pour les Palestiniens résidents dans les territoires occupés, a été affirmé.

 

Egalement dans sa jurisprudence selon le Protocole facultatif au Pacte relatif aux droits civils et politiques, le Comité a eu l'occasion d'affirmer l'engagement de l'article 2 du Pacte.  Par exemple, dans l'affaire López Burgos v. Uruguay, le Comité a constaté déjà en juillet 1981 qu'il « serait excessif d'interpréter la responsabilité définie à l'article 2 du Pacte comme autorisant un Etat partie à perpétrer sur le territoire d'un autre Etat des violations du Pacte qu'il ne serait pas autorisé à perpétrer sur son propre territoire. » [9]


APPROCHE AU COURS

 

Après cette introduction au sujet de la discrimination et du droit constitutionnel, basée non pas sur la théorie mais sur des cas réels et actuels, j'aimerais vous proposer une certaine structure pour le cours ainsi que pour l'examen.

 

D'abord il faut cibler notre thème:   Le droit constitutionnel, qu'est ce que c'est ?  Ensuite on

va regarder les normes, y compris les normes de la jurisprudence, c.à.d. du case-law,

les organes de mise en oeuvre, les procédures ou mécanismes y compris  les procédures de requête individuelle et requête étatique, et finalement les mesures de réparation de torts aux personnes victimes de la discrimination.   Voilà une structure facile a retenir, et utile comme approche pratique :  normes, organes, mécanismes, implémentation.

 

Droit constitutionnel

 

Qu'est ce que c'est – une constitution ?  La constitution est la loi fondamentale d'un Etat, la loi qui détermine s'il s'agit d'un Etat théocratique, totalitaire, communiste, socialiste, capitaliste, liberal-démocratique, etc.  La constitution définit la structure de l'Etat, par exemple, la division des pouvoirs et responsabilités dans l'administration de l'Etat, avec un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif, un pouvoir judiciaire.  La constitution détermine s'il y a un Président ou un Premier Ministre, ou les deux a la fois, et quelles attributions aura chacun d'entre eux.  Est ce que l'Etat aura un Parlement avec une ou deux chambres, est ce qu'il aura seulement une cour suprême ou aussi une cour constitutionnelle avec le pouvoir d'interpréter la constitution, de revoir les lois et les décisions de l'exécutif et, le cas échéant, les déclarer incompatibles avec la constitution ? 

 

Donc le droit constitutionnel s'occupe, entre autres, du contrôle de la constitutionalité des actes publics, du mandat constituant, des problèmes de la réalisation des lois, des problèmes de l'interprétation de lois et de la constitution.

 

Il y a des Etats avec de très vieilles constitutions, comme les Etats Unis, dont la constitution date du 1787, et il y plusieurs Etats qui ont de nouvelles constitutions.  Par exemple, après la deuxième guerre mondiale l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie ont rédigé de nouvelles constitutions. 

 

Dans le contexte de la décolonisation, Les Indes et le Pakistan ont adopté de nouvelles constitutions.  Dans les années 60 presque toutes les anciennes colonies de l'Afrique et d'Asie.  Apres l'Apartheid, c'était l'Afrique du Sud qui avait besoin d'une nouvelle constitution démocratique.

 

Suite a l'effondrement du bloc communiste en 1990, toute une série d'Etats ont adopté nouvelles constitutions – les trois Etats baltiques, Lituanie, Lettonie, Estonie, les nouvelles républiques de Georgie, Arménie, Kazakhstan.  même la Biélorussie et l'Ukraine, qui étaient Etats membres des Nations Unies ont amélioré leurs constitutions, et dans cet effort ils ont demandé l'assistance consultative des organes des Nations Unies, notamment du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme, parce qu'il s'agissait de rédiger de nouvelles constitutions dans lesquelles les droits humains et la bonne gouvernance devraient être garanties.

 

Les constitutions modernes déterminent pas seulement la structure d'un Etat, la langue officielle, la couleur du drapeau national, la périodicité des élections générales, mais contiennent une protection des droits du citoyen. 

 

Déjà le préambule d'une constitution donne le « leitmotiv » philosophique d'une constitution, et il y a plusieurs comme l'Argentine, l'Espagne et la Moldavie, qui mentionnent la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme dans leurs constitutions.

 

C'est ici qu'il faudra travailler pour faire en sorte que les constitutions dorénavant garantissent le droit a l'égalité et le droit a la non-discrimination.  Ou bien les constitutions peuvent être amendées dans ce sens, ou les cours suprêmes ou cours constitutionnelles peuvent interpréter les constitutions de façon à renforcer les droits humains.  Il faudra aussi insister que les constitutions acceptent la primauté des normes internationales des droits de l'homme.

 

D'ailleurs, il serait utile de garantir par la loi ou par les constitutions, que les individus aient accès à une instance internationale pour examiner leurs griefs.  Bien sûr, ils doivent d'abord épuiser les recours internes, mais après une décision négative de la Cour de Cassation à Paris ou du Bundesverfassungsgericht à Karlsruhe, un citoyen devrait avoir le droit de s'adresser à Strasbourg avec une plainte, qui dans sa nature est une requête constitutionnelle – c.à.d. visant la révision d'une action étatique parce qu'elle n'est pas conforme avec la Constitution de l'Etat qui a incorporé les obligations internationales en vertu de leur ratification de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

 La constitution des Etats Unis est vielle, mais toujours dynamique.  Au fil des années on a ajouté des amendements importants, mais surtout c'est la Cour Suprême qui a pris l'avant-garde  et interprété la Constitution et ses amendements de façon progressive.  Déjà dans son arrêt dans le cas Paquete Habana [10] , la Cour Suprême a reconnu l'importance du droit international et le devoir des juges de l'appliquer.  Malheureusement un citoyen américain n'a toujours pas le droit d'adresser une plainte au Comite des Droits de l'Homme des Nations Unies, parce que les Etats Unis n'ont pas ratifié le Protocole Facultatif au Pacte relatif aux Droits Civils et Politiques

Avant de quitter ce commentaire sur le droit constitutionnel et les constitutions, permettez moi de revenir au début de cette leçon et de vous rappeler la perspective universelle.

Or, c'est la Charte des Nations Unies qui est devenu notre Constitution mondiale, et la Cour Internationale de Justice à La Haye, qui est devenu une sorte de cour constitutionnelle mondiale.  Au delà  de cette perspective universelle, nous avons une autre perspective internationale, mais limité aux Etats parties, à savoir les Comités d'experts tels que le Comité des Droits de l'Homme, le Comité pour l'Elimination de la Discrimination Raciale et le Comité pour l'Elimination de la Discrimination à l'égard des femmes.  Tous les Etats ayant ratifiés ces conventions ont accepté des obligations internationales erga omnes qui d'ailleurs se répercutent dans le droit constitutionnel et dans la pratique législative et judiciaire de chaque Etat partie.

Et nous ne saurons pas oublier que dans le domaine régional il y aura bientôt une Constitution pour l'Union Européenne, dans laquelle la protection des droits humains et la prohibition de la discrimination joueront une rôle primordiale.

 Normes :

 

Nous continuons donc avec une revue des normes.

 

D'abord je veux séparer la notion de l'égalité de la notion de la non-discrimination.

Le droit a l'égalité comporte le droit à être traité d'un façon égale aux autres, c.à.d. de façon non arbitraire.  Il comporte le droit a l'égalité dans la loi, et dans l'application de la loi.  Il comporte aussi l'égalité en dignité des victimes des violations des droits humains.  Permettez moi de me référer au premier Haut Commissaire aux Droits de l'Homme, Jose Ayala Lasso, de l'Equateur, qui disait qu'il n'existait pas de victimes  privilégiées, et de victimes que l'on pourrait ignorer, de victimes politiquement correctes et les autres.  On aura occasion de discuter les constatations du Comite des Droits de l'Homme dans le cas Des Fours Walderode c. la Republique Tchèque, dans lesquelles le Comite a confirmé une violation du droit à l'égalité, énoncé dans l'article 26, à cause des actions arbitraires de l'Etat.

En ce qui concerne la notion de la non-discrimination, il s'agit des distinctions qui peuvent être raisonnables ou pas.   Bien sûr, pas toutes les distinctions constituent discriminations dans le sens de l'article 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques.  Le Comité des Droits de l'Homme a constaté dans le cas Zwaan de Vries c. Pays Bas, que la distinction en cas d'espèce comportait une violation de l'article 26 du Pacte, parce dans la loi d'allocations de chômage, la distinction n'était pas raisonnable ou proportionnelle.

Mais d'où vient l'interdiction de la discrimination ?  Au niveau universel, le principe de la non-discrimination est notamment proclamé dans la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945,

article 1, alinéa 3 (…) « en développant et en encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion »

article 55, alinéa c : « le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion »

Avant de continuer, il faut en tenir compte qu'en ce qui concerne les normes, il y a deux catégories des normes, les unes  qu'on appel de droit dur ou hard law, et les autres du droit mou, ou soft law.

Dans la première catégorie nous connaissons dans le plan universel:

* la Charte des Nations Unies, ainsi que les résolutions et décisions du Conseil de Sécurité des Nations Unies, mais aussi un grand nombre de conventions, traités, protocoles, comme, par exemple

* le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (du 16 décembre 1966, en vigueur 23 mars 1976) ,

* le Pacte relatif aux droits économiques sociaux et culturels (du 16 décembre 1966, en vigueur le 3 janvier 1976),

* la Convention internationale pour l'Elimination de toutes les formes de discrimination raciale (du 21 décembre 1965, en vigueur le 4 janvier 1969)

* la Convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, (du 18 décembre 1970, en vigueur le 3 septembre 1981)

et même

La Convention contre l'Apartheid (du 30 novembre 1973, en vigueur le 18 juillet 1976)

et la Convention contre l'Apartheid dans le Sport (du 10 décembre 1985)

* la Conventions de l'O.I.T. No. 100 concernant l'égalité de rémunération  (1951),

* la Convention No. 111 concernant la discrimination relative à l'emploi (1958),

 et

* la Convention de l'UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement (du 14 décembre 1960, en vigueur 22 mai 1962)

Dans le plan régional, on pense surtout à

La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples

la Convention Européenne des droits de l'homme, La Charte Sociale Européenne

La Convention Américaine des droits de l'homme, etc.

Et en ce qui concerne la Convention Européenne des Droits de l'Homme, je me permets de vous signaler un développement fort intéressant.  Depuis 1950  l'interdiction de discrimination se trouvait seulement dans l'article 14 de la Convention, qui stipule :

« la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinion politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Bien entendu, ici il ne s'agit pas d'une interdiction globale, mais d'une interdiction de discrimination seulement concernant les autres droits énoncés dans la Convention.  Ce n'est pas le cas dans le système universel des Nations Unies, où le Pacte de droits civils et politiques va bien au delà des droits civils et politiques et reconnaît un droit autonome à la non-discrimination.

C'est  justement grâce à l'influence de la jurisprudence du Comité des Droits de l'Homme, avec sa généreuse interprétation de l'article 26 du Pacte, que les Européens ont rédigé un Protocole No. 12 à la Convention, dans lequel il y a une interdiction générale de la discrimination :

« La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune … » etc.  Ce Protocole a été signé à Rome le 4 Novembre 2000, mais il n'est pas encore entré en vigueur parce que jusqu'aujourd'hui seulement 6 Etats l'on ratifié. .  Encore quatre états doivent le ratifier.

Dans la deuxième catégorie de normes, celle du soft law,  nous pensons aux résolutions de l'Assemblée générale, du Conseil Economique et Social, de la Commission des Droits de l'homme, ainsi qu'aux déclarations comme, par exemple

  • la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques du 18 décembre 1992,
  •  la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction du 25 novembre 1981, et , bien sûr,
  • la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, bien que beaucoup de professeurs de droit international considèrent que la DUDH est devenue hard law

Permettez moi d'attirer votre attention sur les articles 2 et 7 de la DUDH:.

Article 2 :  « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclames dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation (…) »

Article 7 :  « Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction a une protection de la loi.  Tous ont droit a une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration ou contre toute provocation a une telle discrimination. »

Aussi dans le domaine du soft law il faut mentionner

* la Déclaration et Programme d'action de la Conférence mondial des droits de l'homme, adoptée à Vienne le 25 juin 1993, et

* la Déclaration et Programme d'action de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, adoptée à Durban, Afrique du Sud le 9 septembre 2001.

 Voilà deux autres exemples de lege ferenda qui doivent servir comme guide pour les Etats, normes qui peuvent être utilisées par les cours nationales dans leur interprétation de leurs obligations internationales dans le domaine de la non-discrimination..

Dans le domaine régional, il faut mentionner entre autres

  • la Déclaration du Caire sur les Droits de l'Homme en Islam, adoptée le 5 août 1990, également du soft law, qui devrait guider les juges constitutionnels dans l'interprétation des lois dans les pays musulmanes ;
  • la Déclaration américaine des Droits et Devoirs de l'Homme, du 2 mai 1948, qui s'applique à tous les Etats de la région, y compris les Etats Unis, même si la Convention Américaine de Droits de l'Homme est entée en vigueur depuis 1978, sans pour autant avoir été ratifié par tous les pays de la région.

Voilà les normes de hard law et soft law.  Pourtant, un problème assez sérieux se pose concernant la mise en œuvre du droit international – soit du hard law ou du soft law, parce que dans la plupart des pays – soit de système constitutionnel moniste ou dualiste – les obligations internationales doivent être transformées pour mieux être appliquées

Il y a quelques Etats comme les Pays Bas, où un requérant peut invoquer directement l'article 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques devant les tribunaux nationaux.  Mais cela n'est pas le cas dans la plupart des juridictions.

   Or dans le plan national,  il faut d'abord reconnaître l'importance primordiale de chaque Constitution et ensuite des lois d'un pays, et de l'autre coté les principes et coutumes, qui parfois ont plus de poids que les lois.

Les normes émanant de la jurisprudence constituent dans les pays du common law comme les Etats Unis et le Royaume Uni, une source vitale du droit, qui permet en outre un développement progressif du droit..  Comme vous l'avez déjà constaté, avant la norme jurisprudentielle du jugement de la Cour suprême des Etats Unies dans le cas Rasul v. Bush, c'était la case law crée par la Cour suprême dans le cas du Johnson v. Eisentrager qui déterminait et approuvait la discrimination contre les non-ressortissants des Etats Unis dans le domaine de l'application du « Bill of Rights ».  Cela vient de changer avec la nouvelle norme de case-law, défini justement par la Cour suprême dans sa fonction en tant que cour constitutionnelle.

De plus en plus une jurisprudence internationale très riche est en train de s'épanouir, les arrêts de la Cour internationale de justice, de la Cour européenne des Droits de l'Homme, de la Cour Interaméricaine des Droits de l'homme, de la Commission Africaine des droits de l'homme et de peuples.   Normalement les décisions de ces organes ont une force contraignante. 

Par contre la jurisprudence du Comité des droits de l'homme, du Comité contre la Torture, du Comité pour l'Elimination de la Discrimination Raciale, du Comité pour l'Elimination de la Discrimination à l'égard des femmes, n'est pas strictu sensu contraignante.

On va regarder les cas suivants du Comité des droits de l'homme :

Zwaan de Vries c. Pays Bas, No. 182/1984, constatations adoptées le 9 avril 1987.

Gueye et al. c. France, No. 196/1985, constatations adoptées le 3 avril 1989

Simunek et al. c. République Tchèque, No. 516/1992, constatations adoptées le 29 juillet 1995

Des Fours Walderode c. République Tchèque, No. 747/1997, constatations adoptées le 31 octobre 2001

Et un cas du Comite pour l'Elimination de la Discrimination Raciale :

L.K. c. Pays Bas, No. 4/1991, constatations adoptées le 16 mars 1993

L'examen de ces décisions illustre les situations de conflit entre les normes nationales et les obligations conventionnelles.  Bien entendu, il faut savoir du point de vue de la constitution de chaque pays, quelles normes ont la priorité dans le cas de conflit entre les lois et coutumes nationales et les obligations que les Etats ont acceptées, par exemple en vertu du Pacte relatif aux droits civils et politiques.

 

Organes de surveillance

 

Et voilà que dans notre structure nous arrivons aux organes de surveillance et mise en œuvre des obligations dans le domaine des droits humains.

Le système des Nations Unies est vaste.  Vous connaissez  la Commission des Droits de l'Homme et la Sous-Commission pour la Promotion et la Protection des Droits de l'homme

elles disposent de plusieurs groupes de travail, par exemple sur les minorités, sur les peuples autochtones, sur l'implémentation de la Déclaration de Durban

En outre il y a sept comités d'experts, dont les plus importants pour la jurisprudence sont notamment

le Comité des Droits de l'Homme

Le Comité pour l'Elimination de la Discrimination Raciale

Le Comité pour l'Elimination de la Discrimination à l'égard des femmes

D'ailleurs, il y a les conférences mondiales, telles que la Conférence mondiale des droits de l'homme a Vienne du juin 1993 et les trois Conférences contre le racisme, tenues à Genève en 1978 et 1983 et à Durban en septembre 2001, et les quatre Conferences mondiales sur les droits de la femme, la quatrième ayant eu lieu 1995 a Beijing.

Et encore les décades contre le racisme, dont l'organisation des Nations Unies à déjà mené trois, avec la coopération des institutions nationales de droits humains et des experts en droit constitutionnel.

 

Mécanismes

 

Le système des Nations Unies dispose de beaucoup de procédures pour la protection des droits humains et l'interdiction de la discrimination.  Entre autres, depuis une trentaine d'années la Commission et de la Sous-Commission ont nommé de Rapporteurs spéciaux, experts indépendants, ainsi que  représentants spéciaux et représentants du Secrétaire général et du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme.  Leurs mandats sont définis dans les résolutions créant ou prolongeant leurs activités.   Dans la lutte contre la discrimination, il ne doit pas avoir aucun souci de duplication ou de « overlapping ».  Les rapporteurs renforcent le travail des Comités d'experts et des groupes de travail.  Parmi quelques 30 rapporteurs, je vous signale, par exemple, le Rapporteur sur la liberté de religion et de conviction, le Professeur Amor,  et le Rapporteur sur les formes contemporaines du racisme, M. Doudou Diene. 

Les Comités d'experts ont quatre procédures principales:

  1. Examen de rapports périodiques
  2. rédaction des observations générales sur les articles de chaque convention
  3. Examen de requêtes individuelles
  4. Examen de requêtes étatiques

La discrimination dans les lois et dans la pratique est systématiquement discutée lors de l'examen des rapports périodiques.  Suite à l'examen d'un rapport, les Comités produisent observations ciblées avec recommandations.  Pour cela il y a un système de suivi.

Mais c'est dans l'examen de requêtes individuelles qu'on a fait le progrès le plus spectaculaire.

Déjà dans sa douzième session en avril 1981, le Comité des droits de l'homme a adopté ses constatations dans le cas No. 35/1978  Shirin Aumeeruddy-Cziffra et consorts c. Mauirice et conclue qu'il y avait une violation des articles 3 et 26 du Pacte, parce que la législation concernant l'entrée des étrangers dans le territoire mauricien ne soumetait à ses restrictions que les conjoints étrangers des femmes mauriciennes et non les épouses étrangers de Mauriciens.  Vu cette discrimination à l'égard des femmes, le Comité a  estimé que L'Etat partie devait adapter les dispositions de la loi aux obligations qui lui incombaient en vertu du Pacte.  Le résultat était que l'Ile Maurice a changé sa législation et supprimé la discrimination.

Un grand progrès a été achevé par le Comité en Avril 1987, lorsqu'il a adopté ses constatations concernant le cas No. 182/1984 Zwaan de Vries v. Pays Bas et conclu qu'il avait violation de l'article 26, même si l'affaire en cause était un droit économique protégé par le Pacte internationale relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et non prima facie une violation d'un droit civil ou politique.  En ce qui concerne la portée de l'article 26 du Pacte de droits civils et politiques, le Comité a constaté :

« tout en affirmant que la loi doit interdire toute discrimination, l'article 26 ne contient pas en soi d'obligations quant au contenu même qui peut être celui de la loi.  Par exemple, il n'oblige pas les Etats à adopter des lois prévoyant un système de sécurité sociale.  en revanche, si un Etat adopte une loi à cette fin dans l'exercice de sa souveraineté, cette loi doit être conforme à l'article 26 du Pacte. » [11]

Le critère d'application de l'article 26 a été défini comme suit :  « Le droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, sans discrimination, ne donne pas un caractère discriminatoire à toutes les différences de traitement.  Une différence fondée sur les critères raisonnables et objectifs n'équivaut pas à un acte discriminatoire, tel qu'interdit au sens de l'article 26. » [12]

Les Pays Bas ont changé la législation en question et Mme Zwaan de Vries a eu une compensation rétroactive partielle.

Le progrès chez Zwaan de Vries a permit un développement constant dans la protection contre la discrimination.  Ainsi, dans l'affaire 196/1985, Ibrahima Gueye et al c. la France, le Comité a constaté le 3 avril 1989 une violation de l'article 26, parce que les anciens militaires de carrière retraités de l'armée française, mais de nationalité sénégalaise, recevaient une pension inférieure à celle reçue par leurs confrères français.  Le Comité a observé :

« Pour établir si le traitement des auteurs est fondé sur des critères raisonnables et objectifs, le Comité note que ce n'était pas la question de la nationalité qui avait déterminé l'octroi de pensions aux auteurs, mais les services rendus dans le passé par les intéressés.  Ils avaient servi dans les forces armées françaises dans les mêmes conditions que les citoyens français ; pendant les 14 ans qui ont suivi l'indépendance du Sénégal, ils ont bénéficié du même traitement que leurs homologues français aux fins des droits à pension, malgré leur nationalité sénégalaise et non française.  Un changement ultérieur de nationalité ne peut en soi être considéré comme une raison suffisante pour justifier une différence de traitement, vu que la base retenue pour l'octroi de la pension était les services identiques qu'avaient rendus les auteurs et les militaires qui étaient demeurés français.  Les différences de situation économique, financière et sociale entre la France et le Sénégal ne peuvent pas non plus être invoquées comme justification légitime.  Si l'on comparait le cas des militaires de nationalité sénégalaise à la retraite, vivant au Sénégal, et celui des militaires de nationalité française  à la retraite, vivant au Sénégal, il apparaîtrait qu'ils jouissent des mêmes conditions économiques et sociales.  Toutefois, un régime différent leur serait appliqué aux fins des droits à pension.  Enfin, le fait que l'Etat partie prétend qu'il ne peut plus effectuer les contrôles d'identité et de la situation de famille, requis pour prévenir les abus dans l'administration du régime des pensions, ne peut justifier une différence de traitement.  De l'avis du Comité, de simples difficultés administratives ou la possibilité de certains abus en matière de droits à pension ne sauraient être invoquées pour justifier une inégalité de traitement. » [13]

Par la suite, la France a modifié le régime de pensions des retraités sénégalais.

Après l'effondrement des régimes communistes de l'Europe de l'Est, plusieurs pays ont adopté de lois de restitution.  Bien sûr, les confiscations auraient été irrecevables ratione temporis, mais si les Etats avaient adopté de lois de la restitution, ces lois ne sauraient pas être discriminatoires.

Dans l'affaire No. 516/1992 Simunek et al c. République tchèque le Comité a constaté une violation des l'article 26, parce que Mme Simunek et les autres n'avaient pas reçu restitution d'après une lois qui demandait que les requérants soient citoyens tchèques avec domicile dans la République tchèque.   Dans ses constatations du 19 juillet 1995, le Comité a observé :

« Pour se prononcer sur la compatibilité avec le Pacte des conditions imposées pour obtenir la restitution des biens ou une indemnisation, le Comité doit prendre en considération tous les facteurs, notamment le droit de propriété initial des auteurs sur les biens en question et la nature des confiscations.  L'Etat partie reconnaît lui-même que les confiscations ont été discriminatoires et que c'est précisément pour cette raison qu'une législation spécifique a été promulguée, en vue d'assurer une forme de restitution.  Le Comité fait observer que cette législation ne doit pas faire de discrimination entre les victimes de confiscations effectuées dans le passé, étant donné que toutes les victimes ont droit à réparation, sans aucune distinction arbitraire.  Comme le droit de propriété initial des auteurs sur leurs biens ne dépendait ni de la citoyenneté ni de la résidence, le Comité estime que les conditions imposées dans la loi No. 87/1991 relatives à la citoyenneté et à la résidence sont déraisonnables.  A cet égard, il note que l'Etat partie n'a avancé aucun motif pour justifier ces restrictions.  De plus, on sait que les auteurs et de nombreuses autres personnes dans leur situation ont quitté la Tchécoslovaquie en raison de leurs opinions politiques et que leurs biens avaient été confisqués soit pour cette raison soit parce qu'ils avaient  émigré.  Ces victimes de persécutions politiques se sont installées dans d'autres pays et y ont demandé la citoyenneté.  Etant donné que l'Etat partie lui-même est responsable du départ des auteurs, exiger qu'ils retournent définitivement dans le pays à titre de condition pour obtenir la restitution de leurs biens ou une indemnisation appropriée serait incompatible avec le Pacte. » [14]

Suite à cette décision, la République tchèque a revu sa législation et payé compensation à quelques uns, mais pas encore à tous les requérants, qui ont du recommencer leurs demandes aux tribunaux tchèques.

Un cas de discrimination beaucoup plus préoccupant était l'affaire No. 747/1997 Des Fours Walderode c. République tchèque, dans lequel le Comité s'est penché sur la première phrase de l'article 26.  En lieu d'essayer d'établir une discrimination à cause de l'origine allemand du requérant, c'est qui était apparent, le Comité a préféré de constater une violation du principe d'égalité, parce que M. Des Fours Walterode avait été traité de façon arbitraire, et la Parlement tchèque avait adopté une loi (« Lex Walderode ») spécifiquement pour cibler M. Des Fours Walderode.  Dans des constatations du  30 octobre 2001, le Comité a observé :

«  En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 26 du Pacte, le Comité relève tout d'abord que dans la loi No. 243/1992 la nationalité figurait déjà parmi les conditions à réunir pour obtenir la restitution des bien et que la loi portant modification – la loi No. 30/1996 – a ajouté avec effet rétroactif une condition plus rigoureuse en exigeant la possession ininterrompue de la nationalité.  Le Comité note en outre que la nouvelle loi a pour effet d'empêcher l'auteur et toute autre personne dans la même situation de récupérer leurs biens alors qu'ils auraient autrement rempli les conditions pour prétendre à la restitution.  Il y a là un élément d'arbitraire qui entraîne une attente au droit à l'égalité devant la loi, à l'égale protection de la loi et à la non-discrimination, consacré à l'article 26 du Pacte. » [15]

Le Comité a conclu :

« En vertu du paragraphe 3 a) de l'article 2 du Pacte, l'Etat partie est tenu d'assurer à l'épouse de l'auteur, Mme Johanna Kammerlander, une réparation effective, qui doit prendre la forme d'une restitution dans les meilleurs délais et d'une indemnisation pour ce bien et, de plus, d'une indemnisation appropriée, compte tenu du fait que l'auteur et son épouse survivante ont été privés de la jouissance de leur bien depuis que sa restitution a été révoquée en 1995.  L'Etat partie devrait revoir sa législation et ses pratiques administratives afin de s'assurer que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi. » [16]

Suite à cette décision Mme Kammerlander a gagné son procès à la Cour constitutionnelle de Brno, mais elle n'a toujours reçu restitution de la propriété ni compensation pour l'usus fructus.

 

Droit à une réparation :  Ubi jus, ibi remedium

 

La discrimination entraîne beaucoup de conséquences / politiques, économiques, sociales et culturelles.  La meilleure réparation peut entraîner une modification de la loi, ou l'adoption d'une nouvelle législation.  De cette façon la réparation comporte une prévention des violations de droits humains dans le futur.  Mais il faut en tenir compte, que les victimes de discrimination ont souvent  nécessité d'une réparation personnalisée.  Et les groupes, qui ont subi une discrimination, parfois pendant de décennies ou de siècles ont besoin d'un programme de redressement, ou de ce qu'on appelle «affirmative action », de sorte d'essayer, par de mesures proactives d'assurer l'égalité effective ou de re-établir l'égalité perdue.  Par exemple, les effets de la discrimination raciale aux Etats Unis, même aujourd'hui, restent très en évidence, par exemple,  il y a toujours un très grand nombre d'Afro-américains qui ne votent pas, parce qu'il ne sont pas enregistrés.  Mesures proactives sont de rigueur. 

 Quelle sorte de réparation aux victimes de la discrimination serait adéquate ?  Pas seulement la compensation, mais aussi tout action pour affirmer leur dignité.  Cela comporte parfois l'utilisation de la loi pénale pour punir ceux qui incitent à la haine raciale.

L'article 4 de la Convention internationale pour l'élimination de la discrimination raciale stipule :

« Les Etats parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s'inspirent d'idées ou de théories fondées sur la supériorité d'une race ou d'un groupe de personnes d'une certaine couleur ou d'une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales ; ils s'engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination, et, à cette fin, tenant dûment compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et des droits expressément énoncés à l'article 5 de la présente Convention, ils s'engagent notamment :

a)      A déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale .. b) à déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande …incitant à la discrimination raciale…c) à ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques, nationales ou locales, d'inciter à la discrimination raciale ou de l'encourager. »

L'application de cette article dans le monde d'aujourd'hui est plus que nécessaire.  Même dans les pays libres et démocratiques il reste de problèmes.  Par exemple, dans l'affaire No. 4/1991 L.K. c. Pays Bas, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale avait constaté une violation de l'article 4, parce que les autorités néerlandaises n'avaient pas suffisamment investigué les allégations d'incitation à la haine raciale.  Dans ses constatations du 16 mars 1993, le Comité a observé :

« Le Comité n'accepte pas l'affirmation selon laquelle l'adoption d'une législation qualifiant la discrimination raciale d'acte délictueux signifie en elle-même que l'Etat partie s'est pleinement acquitté de ses obligations en vertu de la Convention… La liberté d'engager de poursuites en cas d'infraction pénale – que l'on désigne couramment par l'expression principe d'opportunité – est régie par des considérations d'ordre public et relève que le Convention ne saurait être interprétée comme défiant la raison d'être de ce principe.  Néanmoins, ce principe doit être appliqué, dans tous les cas présumés de discrimination raciale, à la lumière des garanties énoncées dans la Convention.  Lorsque des menaces de violence raciale sont proférées, en particulier en public et par un groupe de personnes, l'Etat partie a le devoir d'enquêter rapidem4ent et diligemment.  Dans le cas à l'étude l'Etat partie a manqué à ce devoir. » [17]

Voilà qu'il faut pas seulement interdire la discrimination, mais il faut que les Etats fassent des investigations nécessaires dans les cas de violation, et punissent les coupables.  La triste expérience des soi-disant épurations ethniques en Yougoslavie et du génocide en Ruanda ont été à l'époque portées par une incitation constante à la haine raciale, et pas seulement par les individus, même pas les autorités des Etats concernés.  Il faut aussi utiliser les mécanismes internationaux et chercher la solidarité internationale, et si nécessaire, l'imposition des sanctions économiques contre les Etats coupables de discrimination.

Quelle réparation en Palestine ?

Revenons au début de notre cours, à l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 9 juillet 2004, dans lequel la Cour, par quatorze voix contre une a conclu :

« L'Organisation des Nations Unies, et spécialement l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité, doivent en tenant dûment compte du présent avis consultatif, examiner quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant de la construction du mur et du régime qui lui est associé ».

La mise en œuvre des avis et des arrêts des tribunaux internationaux s'est toujours avéré difficile.  Bien sûr, dans quelques affaires comme l'affaire de l'Apartheid, la solidarité internationale et les sanctions imposées suite à l'avis consultatif de la CIJ du 1971 ont directement contribué à l'indépendance de la Namibie et à la fin de l'Apartheid.

Dans le cas du mur en Palestine, le Conseil de sécurité n'imposera pas de sanctions contre Israël parce que le veto des Etats Unis serait certain, vu que les Etats Unis ont déjà utilisé le veto plus de 40 fois pour protéger l'Etat d'Israël et l'occupation des territoires palestiniens.

Par contre, l'arrêt - beaucoup plus modeste - de la Cour suprême d'Israël du 29 juin 2004 sera probablement mis en oeuvre par le gouvernement Sharon.  Le ministère israélien de la Défense a annoncé qu'il respecterait l'arrêt ordonnant de modifier le tracé du mur :  « Les responsables de la sécurité en Israël appliqueront la décision de la Cour suprême et définiront un nouveau tracé de la barrière tenant compte des principes établis par la Cour » 

Voilà un pas dans la bonne direction de la protection des droits humains, en particulier le droit à l'égalité et la non-discrimination.  Le Premier ministre palestinien Ahmed Qorei a réagi à l'arrêt en affirmant que le mur doit être démantelée et qu'il ne suffit pas de modifier son tracé.  Il a déclaré à Ramallah :

« La question n'est pas de savoir quel doit être le tracé de la barrière … C'est un mur, un mur de séparation qui est construit dans les territoires palestiniens. Il s'agit d'un mur de séparation raciste, qui doit être détruit pour cette raison. Il n'y a pas d'autre alternative. ».

Il s'agit donc pas seulement d'un « mur de l'apartheid », comme il est appelé par les Palestiniens, mais d'une annexion de territoires palestiniens qui rend la création d'un Etat palestinien pas du tout viable et la fameuse feuille de route, le « road map » du quartette impossible de réaliser.

Conclusions

 

Le droit a la non-discrimination doit être garantie par les constitutions de tous les Etats.  Les Conventions peuvent être amendées, et pour cela l'Office du Haut Commissaire aux Droits de l'Homme peut offrir un aide juridique et technique.  Les Etats peuvent ajouter des articles dans leurs constitutions ou carrément élever la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ou le Pacte International relatif aux droits civils et politiques au niveau constitutionnel.

Il faut oeuvrer pour la primauté du droit international de droits humains, pour la prohibition de la discrimination en tant que jus cogens, ainsi que pour le principe de l'égalité en tant que protection contre l'arbitraire.

Mais si l'on veut que le système de protection de droits humains fonctionne, il faut créer les mécanismes de mise en œuvre dans chaque pays.   Certes, les normes ont une valeur éducative, mais il faut avoir des organes judiciaires et administratifs pour les appliquer.  En ce qui concerne la jurisprudence nationale, tout les Etats ont un système de mise en œuvre.  Mais en ce qui concerne la jurisprudence internationale, il n'y a que très peu d'Etats qui ont mis en place une procédure pour la réception des décisions internationales dans le plan juridique nationale.

La nécessité du développement d'un système de mise en œuvre nationale est évidente.  Quelques Etats en Amérique latine ont adopté une législation intéressante, voir la Loi 288 de la Colombie, et la Loi 23406 du Pérou.  Plus généralement, il faut adopter ce qu'on appelle « enabling legislation », qui donne aux juridictions nationales la compétence de faire quelque chose avec les décisions internationales.  Jusqu'à maintenant, par exemple,  la mise en ouvre des décisions du Comité de Droits de l'Homme a été assuré surtout par la bonne volonté des gouvernements,  voir du pouvoir exécutif.  Ce dont on a vraiment besoin, est de fournir un statut national aux décisions internationales, de sorte qu'un requérant qui a reçu une décision favorable de Genève ou de Strasbourg  puisse s'adresser aux autorités de son pays pour demander l'implémentation de celle-ci.

La protection internationale contre la discrimination a vu un grand progrès depuis la création des Nations Unies en 1945.  Les normes sont là, les organes et les mécanismes aussi.  C'est qu'il faut surtout c'est la volonté politique pour appliquer les normes et réaliser enfin le droit à l'égalité.  Voilà un défi pour le droit constitutionnel !

  

Bibliographie

 

Sites Internet :

 

www.un.org (site des Nations Unies, Assemblée Générale, Conseil de Sécurité, etc.)

www.unhchr.ch (Office du Haut Commissariat aux Droits de l'Homme, Genève)

www.achpr.org  (Commission africaine des droits de l'homme et des peuples)

www.africa-union.org (Organisation de l'Unité Africaine)

www.icj-cij.org (Cour internationale de justice, La Haye)

www.amnesty.org (Amnesty International)

www.humanrighswatch.org

 

Conventions et Declarations :

 

Charte des Nations Unies du 26 juin 1945, en vigueur 24 octobre 1945.

Charte Africaine des Droits de l'Homme et de Peuples. OAU Doc. CAB/LEG/67/3/Rev.5 (1981) : ILM, Vo. 21 (1982) 58-68.

Déclaration du Caire sur les Droits de l'Homme en Islam : Adoptée le 5 aout 1990.  Publiée dans : UN High Commissioner for Human Rights, A compilation of International Instruments. Vol. II, Rgional Instruments, ST /HR /1/Rev.5 (Vol. II) 1997, pp. 477-484.

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Convention Européenne pour la Sauvegarde des Droits de l'Homme et de Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950, ETS no. 5 : UNTS vol. 213, p. 221, et plusieurs protocoles, y compris Protocole 11 voir ETS No. 155, et Protocole 12 sur la non-discrimination.

 

Jurisprudence :

 

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Gueye et al. c. France, No. 196/1985, constatations adoptées le 3 avril 1989 (U.N. Doc. A/44/40, Annexe X B)

Simunek et al. c. République Tchèque, No. 516/1992, constatations adoptées le 19 juillet 1995 (UN Doc. A/50/40, Bd. 2, Annexe X K)

Des Fours Walderode c. République Tchèque, No. 747/1997, constatations adoptées le 31 octobre 2001 (UN Doc. A/57/40,  Bd. 2, Annexe IX K)

L.K. c. Pays Bas, No. 4/1991 Constatations du Comite pour l'Elimination de la Discrimination Raciale 1993 (UN Doc. A/48/18)

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Colloques, recueils de cours et documents

 

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Droit Constitutionnel et minorités, Recueil des cours de l'Académie Internationale de Droit constitutionnel, Tunis, vol. 12, 2002..

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[1] Rasul v. Bush (No. 03-334), Al-Odah v. United States (No. 03-343), 2004 U.S. LEXIS 4760.

[2] 163 U.S. 537, 16 S.Ct. 1138 (1896).

[3]   347 U.W. 483, 74 S.Ct. 886 (1954).

[4] 44 U.S.C.A.  2000a (1964).

[5] 339 U.S. 763, 70 S.Ct. 936 (1950).

[6] adoptée lors de sa vingt-septième session en 1986.

[7] adoptée lors de la trente-septième session en 1989.

[8] adoptée lors de la quatre-vingtième session en 2004.

[9] Communication No. 52/1979, constatations du 29 juillet 1981, Rapport du Comité des Droits de l'Homme à l'Assemblée Générale, 1981, UN Doc. A/36/40, Annexe XIX.  Sélection de Décisions prises en vertu du protocole facultatif, Bd. 1, CCPR/C/OP/1, Genève 1988.  Dans une opinion individuelle, le Professeur Christian Tomuschat a clarifié que la protection du Pacte ne permet une discrimination des individus, seulement parce qu'ils se trouvent hors du territoire national d'un Etat partie: « il n'a jamais été envisagé d'accorder aux Etats parties le pouvoir discrétionnaire et illimité de porter atteinte par des attaques délibérées et préméditées à la liberté et à l'intégrité physique et morale de leurs ressortissants se trouvant à l'étranger.  Par conséquent, malgré le libellé du paragraphe 1 de l'article 2, les fait qui se sont produits hors de l'Uruguay rentrent dans le champ d'application du Pacte.2 « 

[10] 195 U.S. 677 (1900).

[11] No. 182/1984, constatations du 9 avril 1987, paragraphe 12.4.  Sélection de décisions du comité des Droits de l'Homme prises en Vertu du Protocole Facultatif, volume 2, 1991.

[12] paragraphe 13.

[13] Rapport du Comité des droits de l'homme à l'Assemblée générale, UN ument A/44/40, vol. II, Annexe X B, para. 9.5

[14] Rapport annuel du Comité des Droits de l'Homme à l'Asemblée générale, UN Doc. A/50/40 vol. II,  Annexe X. K, para. 11.6

[15] Rapport du Comité des Droits de l'Homme ä l ‘Assemblée générale, UN Doc. A/57/40, vol. II, Annexe IX. K, para. 8.3.

[16] para. 9.2

[17] Rapport annuel du Comité pour l'élimination de la discrimination raciale à l'Assemblée générale, UN Doc. A/48/18

 

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