Il Caos Creativo : In
Letteratura, destra e sinistra sono categorie ?
INTERNATIONAL P.E.N.CENTRO DELLA SVIZZERRA ITALIANA E RETOROMANCIA,
LUGANO le 18-19 octobre 2002
L’art pour l’art ?
Est-ce que cela existe ? Peut on être un poète
tout à fait apolitique comme Rainer Maria Rilke ? Or, était
il vraiment apolitique ? Quand même, il a quitté son pays natal,
la Tchécoslovaquie et plus tard l’Autriche et l’Allemagne pour s’installer
à Sierre en Valais, où il est mort en décembre 1926 pour
être enterré à Rarogne . . . . si loin de Prague. Est-ce que son exil était une expression
politique ? Peut on être romancier et poète, plutôt apolitique,
comme Hermann Hesse
?
"Wie jede Blüte welkt und jede Jugend
dem Alter weicht, blüht jede Lebensstufe,
blüht jede Weisheit auch und jede Tugend"
Hesse -- lui aussi -- a quitté son pays natal,
l’Allemagne, pour s’installer au Tessin, où il est devenu citoyen
suisse, et où il est mort en 1962.
Est-ce que la création artistique doit être considérée
comme apolitique ? La philosophie et la métaphysique sont elles
de droite ou de gauche? L’homme ou la femme écrivain, est-ce qu’ils
peuvent être active politiquement pendent que leurs oeuvres restent
apolitiques?
De droite on peut penser à quelques œuvres du Comte Joseph Arthur
de Gobineau (1816-1882), de Houston Stewart Charberlain (1855-1927),
d’Ezra Pound (1885-1972), de Miguel de Unamuno y Jugo (1864-1936),
ou d’Ayn Rand (1905-1982)
? A la rigueur on pourrait penser à Céline
(pseudonyme de Louis Ferdinand Destouches, 1894-1961), ou à André
Malraux (1901-1976).
De gauche – la liste serait trop longue ! – on pourrait penser
aux œuvres de Multatuli (Max Havelaar), Franz Werfel (1890-1945),
de Bertolt Brecht (1898-1956), de George Orwell (pseudonyme d’Eric
Blair, 1903-1950), de Federico García Lorca (1899-1936), de Pablo
Neruda
, de Gabriel García Marquez, d’Octavio Paz (1914-), de Mario
Vargas Llosa (1936-), d’Ernest Hemingway (1899-1961), d’Albert Camus
(1913-1960), de Jean Paul Sartre (1905-1980), de Günther Grass ou
de Maksim Gorki (1868-1936)?
On nous pose la question sur le chaos créatif. Oui, il y a souvent
du chaos dans l’inspiration, dans le feu de la création. Surtout
dans la poésie, on est souvent surpris par des images, des métaphores,
qui semblent sortir du hasard, lancés par une sorte de génération
spontanée. Mais, en principe, il n’y a jamais de chaos dans la littérature.I
l faut quand même de l’ordre pour créer la littérature, il
faut de la forme. Dans la prose comme dans la poésie, c’est justement
la beauté de la structure, c.à.d. le manque du chaos, qui nous permet
d’apprécier une pièce. C’est l’évolution des idées, la répétition
subtile, la caractérisation, la rime qui constituent la littérature.
C’est semblable dans la musique, et pas seulement dans la musique
classique, où la forme et la répétition nous permettent d’apprécier
chaque mouvement d’une symphonie ou d’une sonate de piano.
Bien sûr, il y a des écrivains chez lesquels le chaos créatif
est plus évident – par exemple Günter Grass, qui nous raconte plusieurs
histoires à la fois, et on ne sait pas toujours où l’on est. Mais
il y a d’autres écrivains chez qui l'on admire pas seulement l’imagination
mais aussi le bien fondé et l’ordre de la pensée, la caractérisation
et le développement psychologique comme chez Thomas Mann
, chez Goethe.
Pourtant, la politique nous accompagne partout, puisque la politique
est la gestion pratique d’une philosophie de vie, du travail, de
l’économie, de la famille, etc. Par conséquent, la politique s’exprime
aussi dans la littérature.
Bien entendu, il y a des écrivains qui utilisent leur écriture
à des fins politiques comme George Orwell, Bertolt Brecht et Ayn
Rand. Il y a d’autres qui ont des idées politiques, mais ne les
utilisent pas trop avec leurs écrits.
A mon avis, les étiquettes de droite et de gauche ne nous offrent
pas grand chose. Parfois, un auteur nous semble plutôt de droite,
ou plutôt de gauche, mais les idées, comme les hommes et les femmes,
évoluent toujours. Par exemple, dans sa jeunesse André Malraux s’est
battu contre Franco en Espagne et en âge mûr il a servi le gouvernement
du Général de Gaulle en France.
Prenons encore des exemples allemands:
le Prix Nobel Günter Grass (2001) a toujours été un auteur très
politique -- dans ses écrits et dans ses activités publiques. Il
a écrit des discours pour Willy Brandt et pour Gerhard Schröder.
Egalement ses œuvres « Blechtrommel» et « Im Krebsgang
» (2002) sont des œuvres de caractère tout à fait politique,
pleines de dialogues politiques.
Un autre Prix Nobel, Thomas Mann – on dirait – était moins politique
– c.à.d. son art était moins politique, pas l’homme. Quand même
il a du quitter son pays l’Allemagne, pour s’installer aux Etats
Unis, dont il a reçu la nationalité en 1946, ensuite il est rentré
en Europe et a pris résidence à Kilchberg sur le Lac de Zurich en
Suisse. Encore un exilé.
Dans la littérature, il y a peut-être peu de dialogues si politiques
que ceux entre le pédagogue libéral Settembrini et le jésuite radical
Naphta chez Zauberberg . Tout pour apprendre un jeune
homme qui s’appellait Hans Castorp!
Dans ses « Betrachtungen eines Unpolitischen », que Thomas Mann
a écrit à la fin de la première guerre mondiale, il s’exprimait
de façon très politique:
„Die deutsche Selbstkritik ist eine besondere, von der anderer
Völker, wie es immer wieder scheinen will, wesentlich verschiedene...
die Tatsache besteht, dass die deutsche Selbstkritik schnöder, bösartiger,
radikaler, gehässiger ist, als die jedes anderen Volkes, eine schneidend
ungerechte Art von Gerechtigkeit, eine zügellose, sympathielose,
lieblose Herabsetzung des eigenen Landes nebst inbrünstiger, kritikloser
Verehrung anderer, sagen wir zum Besipiel des edlen – nein, das
ist nicht ironische Abwehr! – des zweifellos sehr edlen Frankreich:
ein Ausdruck des Ekels – des Selbstekels, nicht zu vergessen! --
welcher Generosität, Freiheit, Kühnheit, Tiefe, jeden erdenklichen
sittlichen Vorzug bedeuten mag, aber den man als klug, als pädagogisch
in Bezug auf den anderen, als politisch also, unmöglich ansprechen
kann.... »
Egalement après la deuxième guerre mondiale, Mann a écrit une fameuse
allocution, qu’il a présenté le jour de son 70. anniversaire
à Washington, D.C. »Deutschland und die Deutschen». Est-ce que cela
était de la littérature ? Bien sûr. Authentique. Et tout à
fait politique:
« Die zur Politik berufenen und geborenen Völker wissen denn
auch instinktiv die politische Einheit von Gewissen und Tat, von
Geist und Macht wenigsten subjektiv immer zu wahren; sie treiben
Politik als eine Kunst des Lebens und der Macht, bei der es ohne
den Einschlag von Lebens-nützlichen-Bösem und allzu Irdischem nicht
abgeht, die aber das Höhere, die Idee, das menschheitlich-Anständige
und Sittliche nie ganz aus den Augen lässt: eben hierin empfinden
sie ‚politisch’ und werden fertig mit der Welt und mit sich selbst
auf diese Weise. Ein solches auf Kompromiss beruhendes Fertigwerden
mit dem Leben erscheint dem Deutschen als Heuchelei. Er ist nicht
dazu geboren, mit dem Leben fertig zu werden, und er erweist seine
Unberufenheit zur Politik, indem er sie auf eine plump ehrliche
Weise missversteht. »
[7]
Quelle merveilleuse analyse ! Politique, c’est sûr. Mais ni de
gauche ni de droite. Justement du centre.
Par contraste, nous pensons à son frère aîné Heinrich Mann, l’auteur
des romans « Der Untertan » et « Professeur Unrat » (der
Blaue Engel) – deux critiques sociales assez sauvages et sans doute
de gauche.
Et maintenant on pourrait se référer à cet enfant du Tessin, Hermann
Hesse, qui a vécu quarante ans, la moitié de sa vie, en Suisse,
et est enterré ici à Montagnola. Lui, il était pacifiste, préoccupé
par le dualisme humain, sa vie active et contemplative. Il s’intéressait
bel et bien à la politique – plutôt de gauche – mais ses oeuvres,
comme les œuvres de Thomas Mann, ne sont ni de droite ni de gauche.
Enfin, ce qui nous intéresse dans le P.E.N. international est la
liberté de la création artistique, la liberté de la recherche, de
la pensée et de l’expression. Ces libertés sont indispensables à
la démocratie et se basent sur le principe de la dignité humaine,
de l’égalité de chacune et de chacun, du respect des autres. Dans
le marché des idées (marketplace of ideas), il faut avoir le droit
de se tromper (the right to be wrong), it faut avoir le droit de
se perdre et de se retrouver. Les catégories de droite et de gauche
ne sont pas si importants – c’est la maîtrisse de la langue et de
la forme qui nous permets de parvenir à la beauté.
Comme vous le savez, je suis cubain. Et c’est pour cela que j’aimerais
dire quelques mots sur la littérature cubaine. Il y a les poètes
comme Gertrudis Gómez de Avellaneda (1814-1873), qui possédait un
lyrisme superbe. Seul un de ses romans avait un message politique
de gauche – un message anti-esclavagiste.
L’apôtre de l’indépendance de Cuba (1995), José Marti, était un
écrivain assez connu dans toute l’Amérique latine, surtout grâce
à ses poèmes. Même s’il a produit une littérature politique en faverur
de l’indépendance de Cuba, il a également produit une littérature
d’amour et de fraternité – l’art pour l’art :
"Cultivo una rosa blanca,
en julio como en enero,
para el amigo sincero
que me da su mano franca,
Y para el cruel que me arranca
el corazón con que vivo,
cardo ni ortiga cultivo:
cultivo la rosa blanca"
De nombreux hommes politiques étaient aussi des poètes. Le Président
de Cuba Alfredo Zayas (1920-25) a publié plusieurs livres d’histoire,
de lexicographie, et de vers de nostalgie pour la patrie, comme:
"Cuando la nieve en copos descendía
cubriendo la llanura su albo manto,
sentí que el corazón se me oprimía
y que brotaba en mi pupila el llanto.
Hijo de tierra que en verdor eterno
con torrentes de luz el sol inunda,
el pálido fantasma del invierno
vierte en mi seno prostración profunda
Yo no puedo vivir en donde el hielo
aprisione al arroyo en sus cristales,
y el plúmbeo tinte del nublado cielo
no atraviese los rayos siderales.
Yo no puedo vivir,
ni encuentra el alma
encanto alguno a la natura hermosa,
sin oir el murmullo de las palmas,
y el doliento plañir de la tojosa …
Deux mouvements littéraires non-politisés se sont développés autour
du « Liceo » et plus tard autour du journal « Orígenes »
pendent les années 40 et 50. Son meilleur esprit était Jose Lezama
Lima, qui a écrit plusieurs romans tels que « Paradiso ».
Son meilleur poète était Eliseo Diego, dont « En la Calzada de Jesus
del Monte » vaut certainement la peine d’être relu.
Le mouvement « Orígenes » a été interrompu par la révolution.
Très vite la littérature cubaine a été homologuée dans de paramètres
marxistes. Pendant les « années de plomb » 1960-1980, la littérature
devrait servir primordialement la révolution. Mais les temps ont
évolué à Cuba, et, aujourd’hui, on peut lire de nouveau l’art pour
l’art, prose et poésie avantgardiste, publié entre autres par « La
Azotea », et il y a une activité littéraire sponsorisée par
la UNEAC (Union Nacional de Escritores y Artistas de Cuba) et par
la Casa de las Américas.
En tant que membre du P.E.N. et affilié au Comité pour les écrivains
en prison, je me permets de mentionner le cas d’un poète cubain,
Antonio Guerrero, qui est incarcéré aux Etats-Unis pour de délits
politiques, Antonio Guerrero, dont le recueil « Desde mi altura »
(publié à La Havane, 2001) vaut bien la peine de lire.
Peut-être le plus grand écrivain cubain du 20ème siècle, Alejo
Carpentier (1904-1980) a produit de merveilleux romans avant et
après la révolution, tels que «Los pasos perdidos » (1953),
« Guerra del Tiempo » (1958), « El Siglo de las Luces »
(1962) , « El recurso del método » (1974). Il a reçu le
plus prestigieux prix de la littérature espagnole, le Prix Cervantes.
Deux autres écrivains cubains dont les œuvres ne sont pas politiques
et qui ont également reçu le prix Cervantes sont Dulce María Loynaz
et Guillermo Cabrera Infante.
Et même s’il n’est pas cubain, j’aimerais terminer cette allocution
avec un de mes auteurs favoris, un très grand Hispano-américain,
un argentin qui a vécu longtemps en Suisse, lui aussi un exilé,
et qui est mort et est enterré à Genève, Jorge Luis Borges (1899-1986) .
Permettez moi de déclamer quelques vers de son "arte poética":
Mirar el río hecho de tiempo y agua
y recordar que el tiempo es otro río,
saber que nos perdemos como el río
y que los rostros pasan como el agua…
A veces en las tardes una cara
nos mira desde el fondo de un espejo
el arte debe ser como ese espejo
que nos revela nuestra propia cara.
Cuentan que Ulises, harto de prodigios,
lloró de amor al divisar su Itaca
verde y humilde. El arte es esa Itaca
der verde eternidad, no de prodigios …
Voilà un grand poète Hispano-américain. Ni de gauche ni de droite.
Un écrivain pour toutes et pour tous. Encore une preuve de la création
dans l’ordre et avec la rime, une création sans chaos. Finalement,
si le chaos ne peut en tout état de cause générer de l’art, c’est
bien l’art qui transforme un tel chaos en beauté en toute splendeur.
Voilà le phénomène du miracle artistique, la preuve de l’amour de
l’art pour l’art.
Alfred de Zayas Secrétaire-général, Centre P.E.N. de la Suisse
romande
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