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UN Special Décembre 2008, pages 10-12
60 ans Déclaration Universelle des Droits de l’Homme progrès et déception http://www.unspecial.org/UNS679/t24.html
Tout progrès dans la mise en œuvre des droits humains donne l’occasion et une bonne raison de célébrer la dignité humaine, la solidarité, l’égalité. C’est un défi pour tous de redoubler les efforts, puisque la promesse n’a été tenue que partiellement et une grande préoccupation nous hante: la violation chronique des droits humains partout dans le monde : la guerre, l’impunité, la torture, la détention arbitraire, la discrimination, l’exploitation, le trafic des personnes, la pauvreté extrême, la famine, le chômage.
La codification des droits humains par les Nations Unies est sans doute un de plus heureux acquis politiques du 20eme siècle. Déjà la Société des Nations avait prononcé les droits pour les minorités et établi un système de pétitions utilisé par maintes minorités. La Cour permanente de justice internationale, fondée en 1922, tranchait de nombreux cas relatifs aux violations des droits des minorités. Et depuis 1919 l’Organisation Internationale du Travail a défini les normes de la justice sociale. Sa maxime a bien reconnu le lien entre la paix et la justice, comme gravé sur le mur de l’ancien bâtiment du BIT «si vis pacem cole justitiam»: « si tu veut la paix, cultive la justice ».
Après le cataclysme de la deuxième guerre mondiale, les Nations Unies ont adopté en 1948 la Convention contre le Génocide, un jour avant la proclamation de la DUDH. Ces deux instruments constituent une énorme étape vers le développement d’une culture des droits humains. Grâce à la DUDH, des dizaines de conventions et déclarations ont suivi, qui couvrent presque tous les domaines des droits humains. Pourtant il reste encore une codification à faire, notamment du droit à l’identité, du droit au foyer, du droit à la paix, et du droit à l’environnement.
Les normes internationales furent accompagnées par l’adoption de nouvelles normes régionales, ensuite par la création d’organes universels tels que le Conseil des Droits de l’Homme (successeur de la Commission des Droits de l’Homme qui avait rédigé la DUDH et créé toute une série de procédures spéciales, comme celle du Rapporteur sur la torture ou du Rapporteur sur le droit à l’alimentation), mais aussi des organes de traité comme le Comité des Droits de l’Homme, le Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, le Comité des Droits des Travailleurs Migrants, et des organes régionaux tels que la Commission et la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la Commission et la Cour Inter-Américaine des Droits de l’Homme, La Commission et la Cour Africaine des Droits de l’Homme. Finalement les Etats adoptaient sur le plan national des normes juridiques afin de mettre en œuvre leurs obligations internationales ou régionales. Le succès est indéniable : Suffit-il de mentionner la décolonisation, la fin de l’Apartheid, l’abolition de la peine de mort dans nombreux Etats, l’amélioration de la protection des droits des femmes, des enfants, des peuples autochtones, etc.
C’est donc grâce à la DUDH qu’un vaste et complexe système de promotion et protection des droits humains est devenu opérationnel. Suffit-il de mentionner une multitude des commissions nationales des droits humains, la fonction de l’ombudsman et des centaines d’organisations non-gouvernementales. La société civile s’engage de plus en plus. Pourtant, il est évident qu’on peut imaginer une nouvelle approche aux droits humains, une nouvelle hiérarchie. Même si de nombreux experts nous parlent toujours des droits de la première génération (civils et politiques), de la deuxième génération (économiques, sociaux et culturels), de la troisième génération (développement, environnement, paix), on devrait écarter ces catégories artificielles, qui donnent lieu à la fausse impression que les droits de la soi disant première génération sont les vrais, tandis que l’on pourrait nettement ignorer les droits de la troisième. Bien sûr, on sait que les droits humains sont interdépendants, mais on pourrait concevoir un paradigme fonctionnel – visant d’abord les droits qui nous habilitent tels que le droit à la paix, le droit à l’alimentation, le droit à l’autodétermination. On pourrait postuler les droits passe-partout tels que le droit à l’égalité, le droit à ne pas être soumis à l’arbitraire, droit qui sont inhérents dans les autres droits. Mais on devrait essayer d’identifier les droits ultimes, c.à.d. les droits pour lesquels on exerce les autres droits : à savoir, le droit à l’identité, le droit à être ce que nous sommes, le droit à la fois individuel et collectif d’être nous-mêmes. Donc, ce droit ultime est la raison d’être de l’édifice des droits humains. On exerce le droit à l’accès à l’information afin de compléter notre identité, d’acquérir les informations dont nous avons besoin pour formuler nos opinions. On exerce le droit à la liberté de religion et d’expression comme manifestation de notre identité. Certes, le droit à la vie reste toujours le plus fondamental, mais pour vivre et pour exercer nos droits il nous faut d’abord la paix, le développement, l’alimentation. Bref, la dignité humaine comporte le droit d’être une personne à part entière, et pas seulement un « citoyen », un chiffre, voire une quantité statistique.
Revenons sur le droit à la paix. Le préambule de la DUDH proclame que la dignité humaine constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix. Le préambule de l’Acte constitutif de L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) nous rappelle que « les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix. » (www.unesco.org) Dans ce sens, l’Assemblée générale adopta le 14 novembre 1984 la Résolution 39/11 qui stipule « que les peuples de la Terre ont un droit sacré à la paix » et « que préserver le droit des peuples à la paix et promouvoir la réalisation de ce droit constituent une obligation fondamentale pour chaque Etat. » Le Conseil de Droit de l’Homme adopta le 18 juin 2008 une Résolution sur le Droit à la Paix, qui vise l’élaboration de ce droit. En même temps, la société civile a avancé la Déclaration de Luarca sur le Droit Humain à la Paix, présentée formellement le 15 mars 2007 au Conseil des Droits de l’Homme. (Société espagnole pour le développement et la mise-en-œuvre du droit international des droits humains (SEDIDH) http://www.aedidh.org). L’article 15 de la Déclaration stipule notamment: « Les personnes et les peuples ont le droit d’exiger que la paix soit une réalisation effective, en conséquence de quoi ils pourront: a) Exiger des États qu’ils s’engagent à appliquer effectivement le système de sécurité collective établi par la Charte des Nations Unies, mais aussi qu’ils résolvent leurs différends pacifiquement et, dans tous les cas, en plein respect des normes du Droit international des droits humains et du Droit international humanitaire… »
Egalement, selon la Charte de l’organisation mondiale des écrivains P.E.N. (1921), les membres « s'engagent à faire tout leur possible pour écarter les haines de races, de classes et de nations, et pour répandre l'idéal d'une humanité vivant en paix dans un monde uni. » On rappelle la maxime de la Paix de Westphalie (1648) : Pax optima rerum (la paix est le bien le plus élevé). Il convient aussi de mentionner que du 15 au 20 décembre 2008 l’Université de la Paix des Nations Unies tiendra un cours intensif sur le désarmement au Geneva School of Diplomacy/Château de Penthes (disarmament@genevadiplomacy.com).
Nous savons tous que la paix et les droits humains sont menacés. Le terrorisme nous pose un grand défi. Comment le combattre sans sacrifier nos principes? Il faut en analyser les causes et pas seulement essayer de nous protéger contre des attentats. Les stratèges de la soi disante guerre contre le terrorisme n’ont évidemment pas encore compris qu’il s’agit d’assurer notre sécurité par l’affirmation des droits humains et non par leur suppression. Les pratiques récentes de quelques « bons Etats » démocratiques : la torture, les prisons secrètes, les trous noirs, les listes noires ont corrompu l’état de droit. C’est un dérapage qui doit impérativement cesser. Les Nations Unies est le meilleur artisan du dialogue. Non, le mot de Samuel Huntington, son « choch de civilisations » est une chimère. Sans doute, du manque de bonne volonté et de tolérance pour les autres cultures pour les autres cultures et civilisations il y en a. Et pourtant l’être humain est le même partout ; soit-il au premier ou au troisième monde. Il y a de la diversité, ce qui est bonne chose, mais nous avons tout de même 95% en commun.
Dans le domaine de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression nous constatons que le droit à la liberté d’opinion est beaucoup plus important que le droit à la liberté d’expression. D’abord il faut avoir une opinion à exprimer, et il faut avoir accès à toute l’information, de sorte de pouvoir formuler une opinion propre. Si l’on n’a que le droit à répéter ce que le pouvoir politique nous suggère, si nous n’avons que le droit à faire l’écho de ce que l’on a écouté chez CNN ou Fox, le droit n’a pas une grande valeur pour la démocratie. Hélas on constate aussi une politisation de l’information et de l’histoire officielle des pays et des relations internationales. On constate une nouvelle dérive juridique. Treize Etats ont adopté des lois pénales sur la « mémoire historique » visant à protéger la vérité historique, une seule verité donc. Mais, est-ce que la médecine utilisée pour combattre les opinions folles et stupides n’est pas pire que la maladie ? C’est bien l’opinion des juges du Tribunal Constitutionnel d’Espagne qui ont déclaré leur loi contre le « négationnisme » incompatible avec la Constitution Espagnole. Il faut faire très attention pour que les normes des droits humains ne soient pas utilisées pour détruire les autres ! Le 10 octobre 2008 un groupe d’historiens éminents ont fait le point dans l’Appel de Blois (www.lph-asso.fr, contact@lph-asso.fr). Le Professeur Pierre Nora (Académie française), le Professeur Timothy Garton Ash (Oxford) nous rappellent les droits voltairiens à la liberté de recherche et à la liberté d’expression : «L’histoire ne doit pas être l’esclave de l’actualité ni s’écrire sous la dictée de mémoires concurrentes. Dans un État libre, il n’appartient à aucune autorité politique de définir la vérité historique et de restreindre la liberté de l’historien sous la menace de sanctions pénales.» Egalement nous, les écrivains membres du P.E.N. International, devons selon notre Charte défendre « le principe de la libre circulation des idées entre toutes les nations et chacun de ses membres a le devoir de s'opposer à toute restriction de la liberté d'expression dans son propre pays ou dans sa communauté, aussi bien que dans le monde entier dans toute la mesure du possible. » La restriction de la liberté d’opinion est le commencement du totalitarisme.
On se fait de soucis sur la censure dans l’internet. Mais il n’est pas seulement en Chine, ou dans les pays musulmanes, où cela se produit. Si l’on va sur Google en Suisse, en Allemagne, en France, on découvrira que de nombreux sites sont bloqués. Oui, même chez nous. Comment est ce que l’on pourra formuler des opinions propres si l’on n’a pas accès à l’information ?
Encore un défi est l’auto-censure. Les pressions du « politiquement correct » ont fait de ravages dans le monde universitaire aux Etats Unies et même en Europe, ou on n’ose plus aborder certains thèmes controverses et délicats. Nous tous portons une lourde responsabilité si nous ne protestons pas contre la dictature du « politiquement correct ».
Une Nouvelle Déclaration des Droits Humains ?
La Déclaration du millénaire, adoptée par les Nations Unies en septembre 2000, a consolidé le consensus sur la primauté des droits humains et de la paix et fixé des objectifs précis et des délais déterminés. Donc, les objectifs internationaux de développement (OID) définissent les principaux éléments du programme mondial pour le XXI siècle. Voilà déjà l’ébauche d’une nouvelle déclaration. D’ici à 2015, les 192 Etats membres des Nations Unies doivent : * Réduire l’extrême pauvreté et la faim ; · Assurer l’éducation primaire pour tous ; · Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomie des femmes ; · Réduire la mortalité infantile ; · Améliorer la santé maternelle; · Combattre le VIH/sida, le paludisme et autres maladies; et · Assurer un environnement durable.
Or, nous devons réfléchir sur nos obligations individuelles et collectives – pas seulement sur nos droits. L’article 29 de la DUDH est toujours d’actualité : « L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible. » Mais la question que nous devons nous poser n’est pas de savoir si le monde a vraiment besoin d’une nouvelle déclaration de droits humains. Ce dont on a grand besoin c’est la volonté d’oeuvrer pour la réalisation des droits humains et de la paix. Il s’agit de continuer l’effort quotidien pour contribuer à l’évolution d’un monde plus juste, plus heureux. Bien sûr, une nouvelle codification comme celle prévue par l’Université de Berkeley pour le centenaire de la DUDH (http://www.draftinghumanrights.berkeley.edu/home) est possible. Le Projet 2048 prévoit déjà l’inclusion du droit à la protection de l’environnement. Cet exercice nous offre l’occasion d’en discuter.
Pourtant, il faut d’abord promouvoir l’éducation afin de créer ainsi une culture des droits humains où chacun connaît ses droits et sait comment les réclamer. Il s’agit de former une société plus solidaire dans l’esprit de Friedrich Schiller dans son Ode à la Joie: Seid umschlungen Millionen, dieser Kuss der ganzen Welt (« qu’ils s’enlancent tous les êtres ! Un baiser au monde entier ! »).
Prof. Dr. Alfred de Zayas Geneva School of Diplomacy Président, P.E.N. International, Centre Suisse romand |
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